C’est quoi ?
Il n’existe pas de définition stabilisée des « soft skills ». Elles sont souvent décrites dans la littérature journalistique et professionnelle comme faisant appel à l’intelligence émotionnelle et démontrant « une aptitude comportementale et sociale à se connecter aux autres et à son environnement ». Elles sont surtout définies par leur opposition aux hard skills : des compétences techniques, formellement démontrables, souvent reconnues dans un diplôme ou une qualification. Les soft skills sont plus diffuses et informelles, d’où leur qualificatif de « soft », qu’on peut traduire ici par « douces ».
S’il n’existe pas de définition officielle, les softs skills renvoient pourtant à des compétences bien réelles ayant trait souvent au savoir-être : la capacité à apprendre, à coopérer avec les autres, à prendre des initiatives, à s’adapter à l’imprévu, à respecter les règles… sont autant de savoir-être souvent indispensables dans l’exercice de son travail, et qui n’ont pas toujours fait l’objet d’une acquisition formalisée lors de la formation.
Même s’il n’existe pas de définition figée des soft skills, des référentiels commencent à émerger pour les recenser. Dans la lignée des référentiels européens, des compétences clés pour l’éducation et la formation, le référentiel des compétences transversales réalisées par l’AEFA (L’agenda européen pour l’éducation et la formation des adultes) en recense 12, qui commencent à se rapprocher des soft skills :
- Communiquer à l’oral dans le monde professionnel
- Communiquer à l’écrit dans le monde professionnel
- Mobiliser les raisonnements mathématiques
- Utiliser les outils numériques et l’informatique
- Gérer des informations
- S’organiser dans son activité professionnelle
- Apprendre et se former tout au long de la vie
- Appliquer les codes sociaux inhérents au contexte professionnel
- Travailler en groupe et en équipe
- Réaliser son activité selon les cadres réglementaires établis
- Adapter son action face à des aléas
- Construire son parcours professionnel
Enjeux et usages à l’origine
La notion de soft skills s’est développée d’abord dans les entreprises anglo-saxonnes, avant de gagner la France, à partir des années 1980 (dans la suite de l’entrée des savoirs -être dans les référentiels de compétences). Toutefois sa diffusion est lente et ne trouve un véritable essor que depuis les années 2010.
Selon le rapport de France Stratégie « compétences transversales et transférables, quels outils de repérages, de reconnaissance et de valorisation pour les individus et les salariés ? », l ’acquisition de compétences transversales doit faciliter les mobilités professionnelles et rendre plus fluide le marché du travail.
Au sein de l’entreprise, elles doivent permettre de développer les capacités à s’adapter aux évolutions rapides des marchés, à communiquer, à s’organiser pour mieux travailler ensemble. L’employeur peut ainsi mieux différencier des candidats ayant les mêmes parcours de formation ou les mêmes diplômes lors des recrutements.
Pour les salariés ou demandeurs d’emploi, l’enjeu est la sécurisation de leurs parcours et le maintien de leur employabilité, dans un environnement où les évolutions du travail sont nombreuses et rapides, notamment avec la révolution numérique.
L’enjeu s’avère d’autant plus important qu’avec le développement de l’Intelligence Artificielle il existe de plus en plus d’incertitudes sur les compétences qui seront nécessaires dans le futur : certains métiers vont disparaître, d’autres être crées et il est difficile d’identifier les compétences nécessaires pour les exercer. D’où l’enjeu d’acquérir des softs skills, pouvant favoriser l’adaptation à des environnements différents.
Usages et intérêts pédagogiques
Les « Soft Skills » sont autant indispensables aux élèves, qui en auront besoin plus tard pour trouver un emploi, qu’aux enseignants, chargés de les transmettre.
Leur acquisition est importante pour les enseignants ou les formateurs parce qu’ils peuvent favoriser un meilleur transfert de leur savoir-faire. Avoir des connaissances techniques est une chose indispensable au formateur, disposer des compétences relationnelles et émotionnelles pour les transmettre est tout aussi important. A quoi bon être le plus expérimenté sur un sujet si l’on ne peut/sait pas partager ses connaissances avec d’autres ? Plus prosaïquement, dans un contexte de formation, si la relation de communication et de confiance n’est pas établie avec les élèves, que restera-t-il du cours ?
Idem pour l’élève ou le stagiaire en formation : comment apprendre s’il n’a pas réfléchi à toutes les manières d’apprendre et identifié celles qui lui sont les plus adaptées ? Comment résoudre des problèmes si personne ne veut travailler avec lui quand il est en travaux de groupe ? Comment être créatif ou développer un esprit critique s’il n’a pas appris à s’organiser, à s’adapter et à prendre des initiatives ?
Sans doute n’a-t-on pas encore pris en compte aujourd’hui toutes les implications d’un apprentissage des soft skills dans la manière d’enseigner et d’apprendre.
Déroulement, consignes, exemples
Dans la mesure où l’on trouve peu de référencements des soft skills, on ne trouve pas non plus de mode d’emploi pour les transmettre. De fait la mobilisation de méthodes pédagogiques actives, en groupe, par projet… favorise la mise en œuvre du nombre de soft skills. La formation peut constituer un bon cadre d’apprentissage pour apprendre à travailler en équipe, à faire preuve d’initiative ou de créativité, et ainsi à prendre confiance en soi. Le travail par projet ou par étude de cas est aussi une occasion d’apprendre à collaborer et à coopérer, autres compétences utiles dans le travail exercé ensuite.
Dans une tribune publiée en décembre 2016, Karim Eldouardani a tenté de faire un inventaire des soft skills nécessaires dans l’éducation, il y développe l’importance d’être créatif, de savoir résoudre des problèmes, de penser de manière critique, du leadership, de savoir communiquer, traiter l’information pour collaborer et s’adapter. Ainsi, par exemple, concernant le traitement de l’information, il écrit : « Aujourd’hui l’information sur internet est disponible partout, tout le temps. Cette profusion de données requiert un ensemble de compétences pour pouvoir les gérer, les hiérarchiser, les analyser et absorber ce qui est réellement utile. Traiter l’information signifie que nous sommes capables de déterminer ce qui est précieux et utile et jeter ce qui est faux et douteux. Ceci est essentiel pour produire des solutions authentiques et pratiques. Ceci intègre également l’aspect recherche et attribution correcte des sources, éléments indispensables à tout bon citoyen numérique ».
Mise en garde
Comme le note le rapport de France stratégie, les référentiels de soft skills recouvrent souvent des registres assez hétérogènes, qui ne sont pas toujours opérationnels. Les référentiels ne font pas toujours référence à des aptitudes et des « compétences » relevant du comportement et du savoir-être, réclamées par les employeurs, et que certains qualifient aujourd’hui de « soft skills » : capacité d’adaptation, motivation, disponibilité, sens de l’initiative, sens de l’organisation mais aussi créativité, intelligence émotionnelle. Sur ce registre, il peut être complexe d’objectiver des compétences qui peuvent être assimilées à des traits de personnalité (par exemple, la motivation).
« La proximité entre ces différents référentiels offre des perspectives intéressantes pour les démarches de certification. Ce panorama met toutefois en évidence une certaine hétérogénéité de ces référentiels : non seulement les périmètres retenus ne portent pas sur le même registre de compétences, mais il faut également relever une hétérogénéité dans les termes. On passe du choix du substantif (communication, sensibilité…) à des verbes (apprendre à apprendre, développer…) ou encore à de la graduation de compétences (maîtrise des gestes et postures, maîtrise de la langue française…). Alors que ces compétences transversales sont importantes dans tout processus de recrutement, dans la définition de référentiel de formation ou encore pour faciliter la mobilité des personnes, ce manque d’homogénéité se traduit par une difficulté d’opérationnalisation. Il serait utile d’engager une réflexion autour de la constitution d’un socle commun et partagé de compétences transversales, en s’appuyant sur l’existant ».
Plus globalement, certains psychologues tels que C. Dejours ou des sociologues tels que D. Linhart ont montré les limites d’une approche qui tendrait à mobiliser de manière excessive la subjectivité des individus pour résoudre des problèmes, sans tenir compte des conditions et des contraintes dans lesquelles ce travail s’exerce. S’engager personnellement et émotionnellement dans le travail peut être source d’épanouissement et de valorisation lorsque les conditions matérielles ou organisationnelles permettent de réaliser l’activité attendue. Cela peut aussi s’avérer source de souffrance dès lors que les obstacles rencontrés à la réalisation de son travail ne peuvent être franchis, ou que la reconnaissance de l’engagement réalisé n’est pas à la hauteur de ses attentes. La souffrance sera d’autant plus aigüe que l’engagement de sa subjectivité sera forte.
Freins à l’usage
Sans parler de freins à l’usage, on peut parler de difficultés à évaluer les soft skills. Comment évaluer des compétences qui ne font pas l’objet d’un référencement ? Plusieurs expériences sont actuellement à l’œuvre ces dernières années pour les objectiver.
Ainsi, par exemple, le guide AEFA « Évaluer les compétences transversales », propose des outils permettant de mesurer et d’évaluer les compétences transversales détenues, en particulier par les adultes peu qualifiés.
https://ec.europa.eu/epale/sites/epale/files/aefa_guide_webversion.pdf
La proposition vise notamment à mettre des niveaux de maîtrise des 12 compétences identifiées. Chaque compétence est graduée en 4 paliers :
Palier 1 : mise en œuvre partielle en contexte continu, observation, identification
Palier 2 : adaptation à des situations variées et prise en compte des enjeux
Palier 3 : réalisation avec compréhension de l’environnement
Palier 4 : analyse critique, propositions d’amélioration, anticipation
Ainsi par exemple, pour des compétences qui concernent plus particulièrement la formation, la graduation devient :
#05 GERER LES INFORMATIONS
1 – Enumère les supports d’information utiles pour réaliser une information donnée
2 – Identifie les opérations manquantes pour réaliser une opération
3 – Hiérarchise les informations présentes dans la situation et mobilise une méthode pour les traiter
4 – Analyse les enjeux des informations pour les utiliser et les faire circuler
#09 APPRENDRE ET SE FORMER TOUT AU LONG DE LA VIE
5 – Enonce ses manières habituelles d’apprendre
6 – Envisage des possibles pour enrichir et varier ses façons d’apprendre
7 – Met au point des stratégies nouvelles pour optimiser son action
8 – Propose de nouvelles façons de réaliser certaines activités professionnelles
#10 CONSTRUIRE SON PARCOURS PROFESSIONNEL
1 – Emet une/plusieurs idées pour son parcours professionnel
2 – Confronte son projet aux contraintes socio-économiques et à ses réalités
3 – Définit un projet réaliste et réalisable
4 – Détermine la/les étape(s) de mise en œuvre pour son parcours professionnel
#8 TRAVAILLER EN EQUIPE
5 – Identifie les personnes et adopte une posture pour apprendre
6 – Adopte une attitude attentive pour travailler, peut aider les autres et accepte d’être aidé
7 – Fait des propositions et accepte de les négocier
8 – Participe activement au travail collectif en variant sa place et son rôle dans le groupe
Pour visualiser la maîtrise des compétences transversales, on peut s’appuyer sur une carte de compétences qui donne à voir les attendus au regard de la situation, le positionnement à un moment donné d’un individu et enfin les axes de progrès à prioriser.
Plus généralement, on peut faire l’hypothèse que de nouveaux référentiels vont bientôt se développer. De nombreuses expérimentations sont en cours actuellement en Europe. On peut par exemple se référer au projet Janus+ auquel le cnam participe et qui vise à identifier les compétences transversales utiles au tuteur et à l’alternant dans le cadre d’une formation. Et ce sera le croisement entre tous ces référentiels qui permettra de construire des évaluations plus riches et pertinentes.
Et demain ?
A ce jour, il n’est pas possible de déléguer à des robots des compétences comportementales d’empathie ou de créativité. On peut donc faire l’hypothèse que ces compétences ont de beaux jours devant elles. Leur acquisition constituera pendant longtemps un atout pour trouver un emploi ou sécuriser son parcours professionnel. L’enjeu portera sans doute sur la maîtrise des compétences digitales et notamment à gérer son hyper connexion…
Pour aller plus loin
Deux articles :
http://orientation.blog.lemonde.fr/2018/03/05/soft-skills-la-nouvelle-frontiere-educative-des-ecoles-de-management/
https://recruteurs.apec.fr/Recrutement/Pratique-RH/Tous-les-dossiers-Recrutement/Selectionner/Recrutement-misez-sur-les-soft-skillshttp://edupronet.com/de-limportance-des-soft-skills-dans-leducation/
Deux ouvrages :
Le réflexe Soft Skills, les compétences des leaders de demain, Fabrice Mauléon, J. Bouret, J. Hoarau, Dunod, 2014 ;
70 exercices pour développer vos soft skills, Marie-Josée Couchaere, ESF éditeur, 2015.