Comment innover en formation : le décloisonnement des disciplines ?

Dans le système éducatif actuel, l’enseignement est souvent découpé par unités, par champs disciplinaires, par blocs de compétences… qui s’enseignent a minima en s’ignorant mutuellement, voire en s’opposant les unes aux autres (sciences de l’ingénieur versus sciences sociales par exemple).

Or apprendre aujourd’hui, ce n’est pas seulement acquérir des compétences inhérentes au cœur de métier. C’est aussi s’approprier l’environnement dans lequel il s’exerce, les transformations qu’il connait ou connaîtra dans le futur. C’est développer des compétences transverses indispensables pour exercer dans la durée et pour innover (cf. L’article sur les soft skills). C’est être capable d’aller chercher dans plusieurs disciplines le moyen de penser sa complexité.

Au fait, qu’est-ce que l’interdisciplinarité ? Comment la faire vivre concrètement dans un cycle de formation ? Quelles sont les modalités pédagogiques nécessaires à sa mise en œuvre ? Ce sont les questions que nous avons posées à Florence BAZZOLI, Directrice déléguée du Centre Michel Serres à Nantes.

Q : C’est quoi l’interdisciplinarité ?

F.B. : On confond souvent plusieurs termes : la pluridisciplinarité, des personnes ayant des profils disciplinaires différents travaillent sur la même problématique ; la transdisciplinarité, la capacité qu’une personne à aborder une problématique en mobilisant plusieurs disciplines ; et l’interdisciplinarité, convoquer diverses disciplines pour traiter une problématique en mode projet. Le Centre Michel Serres a choisi l’interdisciplinarité pour identifier et anticiper les nouveaux usages liés aux grandes transitions sociétales, économiques et environnementales. Aborder le sujet par l‘innovation globale et la rupture nécessite un regard à 360 degrés.

Q : Comment la fait-on vivre concrètement ?

F.B. : Le Centre Michel Serres réunit des étudiants qui viennent des sciences sociales et humaines (philosophie, anthropologie, sociologie, historien et géographe, architecte), mais aussi des sciences des techniques et de l’ingénieur (data, informatique) et du business (commerce, marketing, management) et puis il y a des créatifs aussi (issue de formation artistiques et de design par exemple) !

Q : Comment fait-on travailler ensemble tous ces profils ?

F.B. : Pour faire de l’interdisciplinarité, il faut avoir un sujet commun dans lesquelles les disciplines viennent s’intégrer et se conjuguer. Donc pas de pédagogie classique possible, mais une pédagogie du « faire » et du projet : ce sont les « projets d’innovation interdisciplinaire » du Centre Michel Serres. Les apprenants sont mis en mode projet afin de devenir autonome, d’apprendre à coopérer, à travailler avec de multiples partenaires, comme ils devront le faire ensuite en entreprise.

Q : C’est aussi un lieu différent des espaces habituels de pédagogie ?

F.B. :  Oui, cela passe aussi par un lieu dédié, c’est le principe du tiers lieu, où l’on a une grande liberté pour s’organiser, avec du mobilier qui permet de se mettre dans des environnements d’apprentissage différents selon les moments. Certains préfèrent des tables, d’autres préfèrent des mange-debout à discuter, d’autres préfèrent s’isoler sur des canapés comme s’ils étaient chez eux… Les temps d’apprentissage également sont différents (cours – co-learning – temps ludiques…) Il s’agit de mettre les apprenant dans des environnements capacitants : on ne peut pas leur demander d’être dans une pédagogie décalée dans un espace et une temporalité traditionnelle.

Q : Quel est le rôle de formateur alors ?

F.B. : Il est dans la guidance et dans la médiation entre l’entreprise et le groupe d’apprenants. Il facilite la vie du groupe et ouvre de nouveaux champs de réflexion hors discipline des étudiants.  Ensuite selon les besoins et les moments du projet, il vient injecter des savoirs conceptuels.

Q : Et comment se fait l’évaluation ?

F.B. : Elle se fait par l’évaluation globale du projet. L’ensemble des productions, tout au long du projet, est synthétisé dans un dossier et une présentation finale. Les focus portent sur les scenarii proposés et la qualité de l’argumentation associée ainsi que la réflexivité de la conduite de projet.

Q : Un exemple de projet ?

F.B. :  L’entreprise Colas a passé commande d’une étude prospective sur la Rue du Futur : va-t-on encore circuler demain ? Comment ? Si on ne circule plus, que va-t-on faire des centaines de millions de mètres carrés que représentent les rues dans le monde ? Comment requalifier la rue ? Quelle réappropriation de l’espace par l’habitant ? Quels sont les services dont le citoyen aura besoin ? On voit bien que sur une problématique comme celle-ci, l’approche par une seule discipline n’est pas suffisante. Les apprenants ont élaboré quatre scénarii possibles : la rue métabolique, la rue robotique, la rue chronotopique et la rue verticale. Et derrière, des modèles de services à développer. Pour en savoir plus, c’est ici. Dans cet exemple, on se situe entre la formation et l’innovation de rupture, avec un lien fort avec l’entreprise. Cela n’aurait pas été possible sans une entrée interdisciplinaire.

 

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