Réinventer la collaboration en formation : une expérience unique dans une licence entièrement à distance, propice à l’entraide

De nombreux enseignants à distance se demandent comment développer l’entraide et les liens entre les apprenants à distance. Comment les aider à développer une culture de la coopération, un espace de reconnaissance mutuelle, voire une communauté d’apprentissage entre pairs ?
Le Living lab Sofa s’est rendu (virtuellement) à Angoulême pour recueillir le témoignage des deux Responsables de formation, Pauline Gomy et Eric Bréchemier, de la licence informatique, parcours jeu vidéo du Cnam.

Leur retour d’expérience est d’autant plus intéressant que cette licence se fait entièrement à distance et… sans enseignant ! Une double contrainte qui rend plus importante encore la nécessité de faire vivre le lien entre les apprenants. De quoi piquer la curiosité du Living lab Sofa…

Living lab Sofa : quelle est la philosophie de cette licence ?
Eric : cette licence est conçue comme une expérience. Axel Buendia, directeur de l’école nationale du jeu et des médias interactifs numériques (Enjmin), a imaginé une formation « sans prof » et tout à distance. L’idée était de prendre en compte les spécificités des entreprises du jeu vidéo où la création, la conception et la programmation nécessitent un travail d’équipe sans rupture. Le rythme de l’alternance classique n’était pas adapté. Axel a donc imaginé un format où les apprentis restent à proximité de l’entreprise, avec un rythme de semaine constant : quatre jours en entreprise, un jour en formation. Cette organisation correspond bien au profil de certains candidats : ceux qui se destinent à la programmation par exemple, ne sont pas toujours à l’aise en public, ont besoin de calme, et ont déjà une bonne culture informatique. La formation à distance leur correspond bien. Elle leur permet de pouvoir faire des stages partout en France, et de travailler à leur rythme. Pour en savoir plus sur le concept, c’est ici.

Les retrouvailles d’une dizaine d’apprentis en événement professionnel, en présence d’Axel Buendia et de Pauline Gomy

Living lab Sofa : pourquoi cette organisation met-elle l’enjeu de l’entraide au centre de la formation ?
Pauline : La volonté d’Axel est qu’il n’y ait pas de « sachant » pendant les premiers temps de la formation, justement pour que les étudiants apprennent à s’entraider. Les enseignants ne sont pas totalement absents pour autant : ils ont conçu les cours mis à dispositions sur Moodle avec une attention particulière au design des cours. Les apprenants ne sont pas laissés seuls non plus, puisqu’Eric et moi jouons un rôle d’animateur pendant tout le temps de la formation. Nous sommes là pour les accueillir, les accompagner dans la prise en main des cours sur Moodle, leur apprendre à organiser, planifier leur travail, ou faire le lien avec les auteurs et autrices de cours… Mais lorsqu’ils ont des questions, nous les habituons très vite à se tourner vers les autres étudiants ou à faire de la recherche pour trouver la réponse. Nous jouons plus un rôle de passeur de compétences entre eux. Du coup ils sont très vite obligés de sortir de leur coquille et de s’entraider.

Living lab Sofa : quel est l’impact de cette organisation sur le recrutement ?
Eric : Lors du concours de recrutement, nous expliquons aux candidats la manière dont ils vont apprendre et le rôle fondamental de l’entraide. Nous essayons de repérer des profils capables d’apprendre en autonomie, une compétence indispensable pour suivre les cours à distance. Ils doivent savoir se présenter, se vendre, parler de leur travail et de leur capacité à coopérer !

Pauline : Cela se traduit de manière très opérationnelle. Dès le processus de sélection, il y a un forum d’échange ouvert sur Moodle. Les élèves peuvent s’y présenter et éventuellement déposer leur CV.
Nous avons aussi mis en place un outil de chat conversationnel (Discord) pour l’ensemble des étudiants. Les candidats peuvent y poser des questions aux étudiants qui ont déjà intégré la formation.

Living lab Sofa : comment faites-vous pour installer cette dynamique d’entraide dès les premiers mois ?
Eric : La formation commence en première année de licence par trois mois sur site. L’idée est de leur donner un bagage de base qui leur permettra de s’intégrer assez vite en entreprise, mais aussi de créer une dynamique de groupe. Nous avons demandé aux enseignants d’intégrer aux cours des activités en binômes ou en trinôme à réaliser. Nous les engageons également dans un projet « fil rouge » qu’ils travailleront en groupe et qu’ils présenteront à la fin de l’année. Cet apprentissage du travail en équipe est d’autant plus important dans les métiers pour lesquels ils se forment.
Pauline : C’est aussi l’occasion pour eux d’apprendre à travailler en autonomie, puisque même pendant cette période, ils n’ont pas de cours classiques synchrones en salle. Ils ont un ordinateur et accèdent à leur cours sur Moodle comme s’ils étaient en formation à distance. Les cours sont dans le même format que ce qu’ils suivront pendant les trois ans à venir.

Un daily multipromo avec une demo L1 & L2

Living lab Sofa : c’est quoi le système de point bonus que vous avez mis en place ?
Pauline : Pendant cette période de recrutement, nous avons mis en place un système de point bonus pour encourager les étudiants à s’aider les uns les autres, à se conseiller sur leur CV, profil Linkedin par exemple. Ensuite, pendant la période en présentiel, nous organisons des points réguliers sous forme de Daily meeting, qui constituent des debriefs de fin de journée. J’ai un cahier, je mets des points à chaque participation (question, réponse, démo…) dans les Daily. Les élèves peuvent aussi attribuer des points lorsqu’un collègue leur a rendu service. C’est une manière d’intégrer la contribution qui se fait en privé. C’est une incitation à l’entraide, pas une obligation.

Une master classe animée par un apprenti

Living lab Sofa : et une fois en entreprise, comment se poursuit l’entraide ?
Pauline : il y a toujours un point hebdomadaire avec chaque promo. C’est l’occasion de rappeler le planning et répondre à leurs questions. Les étudiants peuvent y faire des présentations de projet sous forme de pitch, des conférences en mode master classe. Nous utilisons également un mur collaboratif, Miro, pour animer ces séances.

Eric : Nous avons aussi des regroupements pour des ateliers de conversation en anglais. Initialement, la formation était totalement asynchrone. Les étudiants pouvaient choisir le jour où ils travaillaient leurs cours dans la semaine. Nous sommes revenus sur cette flexibilité, car il y a beaucoup de travaux de groupe et il fallait un jour en commun pour les réaliser. Ils ont un agenda conseillé pour faire les rendus dans un certain ordre, et ils ont des forums sur Moodle pour partager leurs travaux. Durant cette période nous organisons parfois des séances de remédiations avec les enseignants en cas de besoin.
Pauline : Nous gardons aussi le contact avec eux via un point académique individuel deux fois par an, pour éviter les décrocheurs. Il y a aussi les visites d’entreprise avec les tuteurs : on « dégaine » facilement un rendez-vous en visio dans cet univers du jeu vidéo ! Au final, nous avons très peu de décrochage en dehors des ruptures liées à la situation économique de l’entreprise. Les résultats des enquêtes auprès des élèves comme des enseignants sont positifs sur cette organisation.

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