Origine et fondements : jeu et apprentissage
L’apprentissage par le jeu est une thématique centrale de l’éducation nouvelle et de la pédagogie active. L’éducation nouvelle prône un apprentissage à partir du réel et du libre choix des activités ainsi qu’une éducation globale, prenant en compte l’ensemble des champs éducatifs : artistique, intellectuel, physique, manuel. Dans le même temps, la thématique du jeu comme outil de développement de l’enfant et support privilégié de l’apprentissage est présente dans les grands courants de la psychologie moderne (Freud, Piaget, Vygotski, Bruner). Pour autant, il n’est pas toujours évident de savoir précisément de quoi on parle lorsqu’il est question de jeu pédagogique, d’apprentissage par le jeu ou de pédagogie ludique. Le jeu pédagogique est-il une technique pédagogique spécifique au sein du courant des pédagogies actives, ou n’est-il qu’un autre nom donné à un ensemble de techniques propres à ce courant ?
Il n’est pas non plus facile de définir « ce que l’on fait quand on joue ». Selon Gilles Brougères, jouer ne relève pas de caractéristiques objectives de l’activité mais de la façon dont cette activité prend sens pour un individu ou dans la communication entre deux ou plusieurs individus. Pour qu’une activité soit interprétée comme une activité de jeu, 5 critères peuvent être retenus, dont les deux premiers sont essentiels : le caractère de « second degré » de l’activité dans son rapport aux mêmes activités de la vie ordinaire ; la libre décision d’entrer dans le jeu ; l’existence de règles implicites ou explicites partagées, la non conséquence du jeu dans la vie réelle, l’incertitude quant à l’issue du jeu.
Définition du jeu pédagogique
Le jeu pédagogique peut ainsi prendre une définition assez large, qui englobe toute activité d’apprentissage dans laquelle « est effectué un déplacement, soit du rôle de l’apprenant, soit du thème de l’apprentissage, soit des objets utilisés » (Sophie Courau). Il est « un moment actif pour l’apprenant, encadré de consignes précises, mais un moment décalé de la réalité, comme in vitro, pendant lequel les choses ne sont plus tout à fait ni directement professionnelles, ni directement opératoires, ni directement applicables ». Ce sont les procédures choisies pour atteindre les objectifs d’apprentissage, les règles imposées ainsi que le rôle des acteurs, qui permettent d’opérer le déplacement recherché et font de l’activité d’apprentissage un jeu, plutôt qu’une activité applicative, directement reliée à l’activité ou au contexte professionnel visé.
Cette définition large du jeu pédagogique englobe l’ensemble des techniques pédagogiques suivantes :
- Les jeux de role
- Les jeux de découverte (ex : Tour de table croisé, photolangage, mimes, etc.)
- Les jeux d’application (évaluation croisée, jeux de plateau, mémory, étude de cas, etc.)
- L’expérimentation
Déroulement et consignes :
Le déroulement et les consignes du jeu dépendent du type de jeu choisi, et relèvent donc du fonctionnement spécifique des techniques pédagogiques utilisées comme support de jeu.
Contexte d’utilisation (Public, etc.) :
Cette modalité pédagogique est particulièrement présente dans l’éducation scolaire et préscolaire, mais elle se développe également en formation professionnelle d’adultes et s’adapte potentiellement à tout public, en formation initiale ou continue, et pour des contenus variés. La taille du groupe varie selon les techniques envisagées.
Points forts :
Si la dimension ludique est le point commun de l’ensemble des techniques pédagogiques pouvant être qualifiées de jeu pédagogique, pour autant ce n’est pas seulement cette caractéristique (au sens du divertissement) qui fait la valeur pédagogique du jeu, ou alors il convient de préciser ce que recouvre cette notion.
Quels sont les atouts pédagogiques du jeu ?
- La diversion : par le déplacement du rôle des apprenants ou des objets d’apprentissage, ou encore de la situation d’apprentissage, le jeu pédagogique opère une diversion qui peut être bénéfique à l’apprentissage : l’espace d’activité ainsi créé est un espace de liberté et de créativité au sein duquel il est possible de s’engager sans prendre trop de risques ni être confronté à de réels obstacles. Chantal Barthélémy-Ruiz évoque à ce sujet une « pédagogie du détour ». C’est aussi le sens de la notion d’« espace transitionnel » chez Winnicott : le jeu comme interface entre le réel et l’imaginaire (pour l’enfant mais aussi pour l’adulte), comme espace de transition entre le dedans (la réalité psychique interne) et le dehors (la réalité du monde extérieur). Cet espace de transition facilite l’apprentissage du réel sans l’obligation de s’y confronter réellement ou immédiatement.
- Le rapport à l’erreur : les erreurs sont acceptées en tant qu’elles font partie du jeu. Dans le jeu, il est possible de perdre sans pour autant « perdre la face ». De ce point de vue, le jeu pédagogique est susceptible de réduire l’anxiété liée à l’apprentissage et au risque de faire des
- La surprise : par sa dimension ludique, l’activité proposée surprend les apprenants. Or, la surprise peut être un ressort de l’apprentissage parce qu’elle invite à rompre avec les façons habituelles de voir et de
Mises en garde :
La valeur pédagogique du jeu est parfois confondue avec le fait d’introduire une dimension de compétition au sein du jeu et d’y associer des gains ou des récompenses. Dans cette perspective, le jeu est valorisé en ce qu’il permet de jouer sur la motivation des apprenants.
Or, d’une part ce qui fait la valeur pédagogique du jeu n’est pas spécifiquement le fait d’introduire une dimension de compétition entre les apprenants, mais plus centralement le déplacement qu’il opère ainsi que l’espace d’expérimentation « intermédiaire » qu’il permet. D’autre part, les ressorts de la motivation sont multiples, et la perspective d’un gain ou d’une récompense ne recouvre qu’une facette de la motivation, à savoir la motivation extrinsèque (provoquée par une circonstance extérieure à l’individu ? Cf. Deci, 1971). Introduire un système de récompenses peut en effet avoir des effets sur la motivation extrinsèque, et donc sur la performance immédiate, mais elle peut dans le même temps inhiber les ressorts de la motivation intrinsèque (provoquée par le plaisir et l’intérêt associés à l’action, sans attente de récompense), et freiner l’apprentissage à long terme. Lorsque la dimension de compétition ou l’attrait de la récompense l’emportent sur les objectifs pédagogiques, le risque est de valoriser les performances des apprenants plutôt que l’apprentissage.
Il est donc important de s’interroger sur les raisons pour lesquelles nous souhaitons introduire du jeu dans l’apprentissage, et sur le type de motivation que l’on souhaite mobiliser. En sachant que la motivation reste du ressort du celui qui apprend, et que vouloir motiver l’apprenant relève par conséquent toujours d’une forme de manipulation.
Références :
Sophie Courau, Jeux et jeux de rôle en formation, Editions ESF, 2015
Edward L. Deci, « Effects of externally mediated rewards on intrinsic motivation », in Journal of Personality and Social Psychology, vol. 18, avril 1971, pp. 105–115
Christine Delory-Momberger, « G. Brougère. Jouer/Apprendre », L’orientation scolaire et professionnelle [En ligne], 35/3 | 2006, mis en ligne le 28 septembre 2009. URL : http://journals.openedition.org/osp/1033
D.W.Winnicott, Jeu et réalité. L’espace potentiel, Gallimard, 1974
© Emmanuelle Betton _ CNAM
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