Interaction – interactivité

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C’est quoi ?

Pas toujours simple de distinguer ce qui relève de l’interaction et ce qui relève de l’interactivité. Nous avons donc fait le choix de les associer parce qu’ils sont souvent envisagés comme complémentaires. Généralement, les linguistes et les pédagogues parlent d’ « interactions » pour évoquer les relations entre les personnes et réservent le terme « interactivité » à ce qui qualifie l’échange entre un individu et un objet technique (un ordinateur ou une application par exemple).

Précisons : dans le langage courant, on parle d’ « interactions » pour exprimer des actions et des réactions entre des individus. En sociologie ou en psychologie, l’interaction sociale est l’influence réciproque de personnes ou de groupes de personnes entrées en contact au sein d’un système social. Les interactions sont des relations verbales ou non verbales (gestes, regards, attitudes…) qui provoquent une action en réponse chez l’interlocuteur, qui elle-même a un effet sur l’initiateur de la relation. (cf. Interaction, Celia Bense Fereira Alves (Université Paris 8) et Karim Hammou (CNRS). En pédagogie, les interactions se produisent entre apprenants, entre apprenants et enseignants et potentiellement entre apprenants et conditions d’apprentissage.

L’Interactivité met en relations des individus avec des machines. Selon Wikipédia, l’interactivité est « une activité nécessitant la coopération de plusieurs êtres ou systèmes, naturels ou artificiels, qui agissent en ajustant leur comportementElle est présente dans toutes les formes de communication et d’échange où la conduite et le déroulement de la situation sont liés à des processus de rétroaction, de collaboration, de coopération entre les acteurs qui produisent ainsi un contenu, réalisent un objectif, ou plus simplement modifient et adaptent leur comportement ». Une communication interactive s’oppose à une communication à sens unique, sans réaction du destinataire, sans rétroaction.

Enjeux et usages à l’origine

Le mot « interaction » est ancien. On en trouve dès 1876 une définition dans le Littré, mais elle porte sur des objets ou des phénomènes ou systèmes physiques. On parle par exemple d’interaction médicamenteuse, gravitationnelle…

Il faut attendre les travaux des sociologues de l’école de Chicago aux Etats Unis (avec notamment les apports d’H. Garfinkel) ou d’ethnologues tels qu’E. Goffman en France (qui étudient les interactions de face à face), pour qu’on commence à s’intéresser à l’influence réciproque que les individus exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres (E. Goffman, The Presentation of Self in Everyday Life [1959], Woodstock, Overlook Press, 1973, pp. 23-24).

Le principe selon lequel l’individu apprend et se construit par interaction avec les autres est repris par pratiquement tous les courants de la pédagogie. On peut citer par exemple la théorie socio historique de Vygotsky qui place l’interaction sociale en « condition constituante de l’apprentissage et du développement cognitif ». Pour lui, « l’appropriation d’une compétence se fait ainsi toujours à partir d’une situation sociale. Dans une activité d’apprentissage, la relation de tutelle créée par un pair expert va permettre l’ouverture d’un espace de transformation progressive des compétences cognitives de l’apprenant appelé zone proximale de développement. Le guidage de cette construction interactive se caractérise par des démarches d’étayage ». Vygotsky, L.S. (1934/1978). Mind in society: The development of higher psychological processes. Cambridge, MA: Harvard University Press.

Les recherches plus récentes en psychologie sociale élaborées dans le cadre des prolongements des travaux de Piaget portent sur les interactions de confrontation et de négociation. S’est notamment développé dans les années 80 le concept de « conflit sociocognitif » en situation de résolution de problèmes. La confrontation aux autres est porteuse d’apprentissage dans la mesure où les apprenants doivent réexaminer leur point de vue, se décentrer, justifier, argumenter et communiquer de façon claire. cf. DOISE Willem et MUGNY Gabriel, Le Développement Social de l’intelligence, 1981, InterEditions, Paris. Sans compter qu’il s’agit de compétences sociales clés très utiles en situation de travail.

L’interactivité est une notion beaucoup plus récente, étroitement liée au développement des systèmes informatiques. Alors que les premiers ordinateurs n’étaient que des instruments de calcul au service d’applications professionnelles, l’apparition des interfaces graphiques dans les années 1980 a modifié la relation de l’homme à la machine au travers d’usages qui se sont élargis progressivement à toutes les couches sociales dans le cadre d’activités culturelles, de loisir, et donc de la formation.

Le concept d’interactivité a été largement discuté dans les années 1990 : en quoi les machines améliorent-elles les relations humaines (ou les appauvrissent-elles) ? La relation à la machine est-elle une simple réactivité ou s’agit-il d’une relation dialogique ? Ces questions paraissent aujourd’hui périmées et de nouvelles problématiques se posent avec l’évolution du design des interfaces et le développement de l’intelligence artificielle.

Avec l’avènement du digital, la relation homme machine s’est enrichie et complexifiée. L’usage des smartphone, des jeux vidéos, des applications, des réseaux sociaux s’est répandu dans toutes les couches de la société. Dès lors, il est question de relations entre les individus médiées par des ordinateurs qui engagent de nouvelles formes de relations intersubjectives.

A partir des années 2000 la formation a commencé à prendre en compte l’interactivité dans ses usages avec la création de dispositifs socio-éducatifs intégrant le numérique comme par exemple des Serious game et des casques de réalité virtuel.

Usages et intérêts pédagogiques

Interactions comme interactivités apparaissent indispensables pour favoriser les apprentissages et le développement des apprenants.

Les interactions sont nécessaires pour que l’apprentissage en groupe puisse s’avérer efficace. Dans la plupart des cours, la majorité des interactions se font entre les élèves et l’enseignant, mais de plus en plus il faut considérer aussi celles entre les apprenants eux-mêmes. Selon Damon et Phelps, elles sont particulièrement adaptées pour développer les compétences de collaboration et de coopération (voir glossaire) et d’apprentissage professionnels (par le tutorat ou l’étayage pour reprendre le concept de Vygotski).

Si l’on prend l’exemple de la collaboration, les interactions permettent d’apprendre à travailler à une tâche conjointe ou à se répartir les tâches… Elles impliquent un haut degré de concertation à toutes les étapes. Les interactions au sein d’un groupe vont également participer à la construction d’une identité commune ou d’une appartenance à un groupe (professionnel par exemple).
Dans leurs travaux sur les interactions dyadiques, Gilly, Fraisse et Roux ont défini quatre types de co-élaboration: 1) la co-élaboration acquiessante, où l’un des deux sujets élabore seul une solution et la propose à son camarade, qui ne manifeste pas d’opposition et qui fournit des feedbacks d’accord; 2) la co-construction, où les deux apprenants élaborent au fur et à mesure une solution à deux; 3) les confrontations avec désaccord, où un sujet n’accepte pas les propositions de son camarade; 4) les confrontations contradictoires, où un apprenant réagit par un désaccord argumenté à une proposition. Cf. Gilly, M., Fraisse, J. & Roux, Résolutions de problèmes en dyades et progrès cognitifs chez des enfants de 11 à 13 ans: dynamiques interactives et mécanismes socio-cognitifs, 2001 Paris, L’Harmattan.

On parle d’interactions symétriques pour qualifier les modes de communication où chacun des partenaires contribuent activement à la réalisation commune, les statuts et les rôles sont égalitaires et le travail à deux ou plusieurs permet à chacun d’obtenir de meilleurs résultats que le travail individuel. On parle d’interactions asymétriques lorsque les compétences et des statuts des membres ne sont pas équivalents (lorsqu’il y a un pair expert par exemple).

Du côté de l’interactivité, c’est la capacité à stimuler et à maintenir l’attention de l’apprenant qui peut être intéressante. D’autant qu’elle mobilise des codes et des langages qu’il connait déjà (ceux du jeu vidéo ou des réseaux sociaux par exemple). Le recours à l’émotion, à des dimensions ludiques, de narration ou immersives par exemple est un moyen d’aiguiser la curiosité des apprenants, de les engager dans l’action et dans la formation. Le jeu éducatif par exemple laisse la possibilité de rétroaction, d’essai erreur. On peut faire l’hypothèse que la digitalisation de la formation et le développement de l’intelligence artificielle permettra également de personnaliser davantage les parcours de formation et de mieux répondre aux besoins et profils de chaque utilisateur.

Déroulement, consignes, exemples

Interactions et interactivités ne sont pas incompatibles, bien au contraire. Les applications des Smartphone ou les réseaux sociaux participent désormais à la mise en lien des individus entre eux. Interactions comme interactivité participent à l’apprentissage des apprenants.

Ainsi, les interactions sont particulièrement utiles pour comprendre les mécanismes de la collaboration, de la confrontation, du compagnonnage et de la compétition dans un groupe. On trouvera ici des éléments de définition de ces notions)

Parmi les méthodes pouvant favoriser les collaborations par exemple, on peut citer les exercices de résolution de problème et de conduite de projet, qui vont nécessiter la mise en commun de savoir et de savoir-faire pour atteindre le but. Des outils interactifs tels que le wiki ou le chat peuvent aider à organiser cette collaboration et à favoriser l’échange entre les apprenants.

Pour les échanges et la confrontation on peut imaginer avoir recours au forum ou à un blog, qui incitent à argumenter et qui permet aux pairs d’apporter des commentaires sur chaque billet.

Le tutorat nécessite des points réguliers entre apprenant et tuteur pour assoir l’apprentissage par l’analyse réflexive. Ces points peuvent porter sur la compréhension de la demande et des tâches attendues, la planification, l’avancée, les obstacles rencontrés, les compétences mobilisées…. Les pairs sont des ressources, au même titre que l’enseignant ou le livre. Ces points peuvent se faire via des outils numériques de communication (Skype…)

On peut imaginer aussi d’organiser une pratique en binôme avec une alternance régulière de pratique entre les binômes : cette stratégie permet d’avoir en permanence une personne qui relit, vérifie, prend du recul par rapport au travail en cours apporte ses conseils.

La compétition a peu de plus-value pédagogique mais elle peut être un fort ressort de motivation, tant qu’elle ne génère pas une pression trop forte sur les apprenants.

Dans tous les cas l’échange et le conflit socio-cognitif permettent à l’apprenant d’élaborer de nouvelles structures, de nouvelles manières de penser et incidemment d’apprendre à négocier. C’est en cela que l’on peut parler d’interaction puisque son point de vue ne sera ou sa pratique seront différents après l’échange. Et cette interaction peut passer par des outils numériques interactifs.

Mise en garde pédagogique

Attention les interactions peuvent aussi être négatives et sources de conflits, de luttes, de ségrégations, voire d’insultes… ou mettre les apprenants en situation ambivalente de concurrence ou de compétition.
De même les outils numériques de formation interactifs doivent être intégrés dans des dispositifs de formation formels et ne peuvent s’y substituer.
Pour que les interactions soient positives plusieurs conditions doivent être réunies.

Les apprenants doivent disposer au départ de compétences sociales et pouvoir les mobiliser en situation. Elles peuvent faire elles-mêmes l’objet d’un apprentissage.

Le travail en collaboration/coopération est d’autant plus efficace qu’il porte sur des tâches d’apprentissage d’un certain niveau de complexité, de type résolution de problèmes complexes, mettant en jeu des opérations cognitives de haut niveau.

Pour Bourgeois et Nizet, une trop grande différence de niveau de développement ou de connaissances entre les apprenants n’est pas favorable à l’apprentissage. En même temps, une trop grande symétrie produit des effets de complaisance, ce qui n’est guère plus efficace. (cf. Bourgeois, E. & Nizet, J. Apprentissage et formation des adultes, 1997, PUF). Les travaux de de Webb et Palincsar (1996) soulignent que les groupes à hétérogénéité restreinte (faible et moyen ou moyen et fort) sont favorables pour tous les élèves (Webb, N. & Palincsar, A.S., Group processes in the classroom. In D. Berliner and R. Calfee (Eds.), Handbook of Educational Psychology, 1997, New York: Macmillan).

Selon le professeur en sciences de l’éducation Marcel Lebrun, « l’expérience montre que la taille idéale se situe entre 6 et 8 étudiants pour un travail de groupe en « présentiel ». Dans les travaux « en ligne », les difficultés inhérentes à la technologie (la distance et l’asynchronicité) réduisent la fourchette à 4 à 6 étudiants maximum. En effet, le but de l’apprentissage collaboratif consiste à faire discuter les participants sur leurs représentations et leurs avis et à confronter leurs idées. S’il y a trop peu de participants, on n’est pas sûr d’obtenir des points de vue assez variés ou divergents et il n’y a pas suffisamment de matière à discussion. D’un autre côté, dans un groupe trop nombreux, il est difficile de permettre une participation équitable de tous et de gérer la masse des opinions ». http://lebrunremy.be/WordPress/?p=329

On peut noter parmi les freins aux développement de l’interaction et de l’interactivité le fait que concevoir un outil numérique éducatif prend du temps et a souvent un coût élevé.

Et demain ? évolution et prospectives

Un des enjeux de la formation à distance est sa capacité à mettre en œuvre une interaction à distance qui soit apprenante.  Comment créer prendre en compte l’interaction non verbale à distance par exemple ? Les nouveaux outils de communication tels que Skype ou Padlet favorisent les interactions entre apprenants et entre apprenants et professeurs. On peut se demander dans quelle mesure ils pourront se substituer à l’interaction en présentiel.

Concernant l’interactivité, on voit bien les pouvoirs considérables de l’usage des datas en terme d’adaptation et de rétroaction en formation, reste à savoir à quelle échéance elle pourra être opérationnelle.

Pour aller plus loin (bibliographie, webographie)

« Le digital, une pédagogie interactive et immersive pour une nouvelle génération », https://www.innovation-pedagogique.fr/article1008.html

« Les types d’interactions sociales », laboratoire TECFA, Université de Genève, http://tecfa.unige.ch/tecfa/teaching/LME/tessaro/interaction_sociale.htm

« Les interactions entre élèves, une source d’apprentissage », A. Fabien, IUFM de Bourgogne, 2005.

 « Interaction », Celia Bense Fereira Alves et Karim Hammou, dans Anthony Glinoer et Denis Saint-Amand (dir.), Le lexique socius, URL : http://ressources-socius.info/index.php/lexique/21-lexique/157-interaction

Le plaisir de l’interaction entre l’usager et les objets TIC numériques, Nicole Pignier, Interfaces numériques. Volume 1 – n°1 /2012

« De l’interaction dans une relation pédagogique à l’interactivité en situation d’apprentissage des théories aux implications pour l’enseignement », E. Lombardo, Y. Bertacchini, E. Malbos, http://www.academia.edu/22837970/De_l_interaction_dans_une_relation_p%C3%A9dagogique_%C3%A0_l_interactivit%C3%A9_en_situation_d_apprentissage_des_th%C3%A9ories_aux_implications_pour_l_enseignement

« Interactivité, mode d’emploi, Réflexions préliminaires à la notion de document interactif », Jean-Thierry Julia, ADBS, Documentaliste – sciences de l’information, 2003/3 Vol. 40, p. 204 à 212.

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