Résumé
Padlet est une application informatique (1) conçue pour l’édition de « murs » collaboratifs en ligne (espace collectif pour échange d’informations). Des murs de présentations collectives sont proposés au démarrage des Unités d’Enseignement (UE) du Cnam dispensées en modalité toutes à distance en Foad (Formation ouverte et à distance). Ils ont pour objectifs de constituer un des premiers liens entre les personnes inscrites à un même enseignement.
Le Living Lab SOFA s’est penché sur les usages de ces murs collectifs dans 14 UE avec pour questionnement : en quoi ces espaces participent-ils ou non à la création d’une communauté d’apprentissage en ligne ?
Suite aux observations, il en ressort 5 constats pouvant constituer des règles d’usage :
- Le formateur doit donner l’exemple en se présentant lui-même pour favoriser des effets de contagion ;
- Le formateur doit indiquer les informations qui peuvent être données sur ces présentations pour favoriser le sentiment d’appartenance ;
- Le formateur doit expliquer aux apprenants, lors des classes virtuelles, le rôle du mur dans l’apprentissage pour encourager leur engagement mutuel ;
- Le mur de présentation doit être articulé à d’autres modalités d’interaction (forum, chat, classes virtuelles) pour faire émerger une culture et des valeurs communes ;
- Le mur de présentation doit être articulé à des projets collaboratifs pour participer à la socialisation des apprenants.
Approfondissement
Nombre de recherches en sciences de l’éducation ont montré, dans le prolongement des travaux de Piaget et Wigotsky, l’importance du collectif et des interactions sociales dans le processus d’apprentissage. Comme nous le rappelions dans un article précédent, le groupe joue un rôle fondamental pour rythmer la formation, pour soutenir les apprentissages et pour se construire une identité professionnelle commune (sur le plan motivationnel et cognitif donc).
Mais comment « faire » groupe dans une formation à distance ? Peut-on se constituer une culture commune et un sentiment d’appartenance ? Finalement, comment transformer un groupe informel d’apprenants (réunis simplement au départ parce qu’ils sont inscrits à une même formation), en une véritable communauté d’apprentissage ?
La communauté d’apprentissage pour se (re)connaître
La notion de communauté d’apprentissage s’est construite à partir de celle de « communauté de pratiques » telle que définie par Sylvie Grosjean, Professeur à l’Université d’Ottawa, (s’inspirant des travaux de E. Wenger, 1998) : « Une communauté de pratiques est un groupe d’individus qui interagissent, construisent des relations et à travers cela, développent progressivement un sentiment d’appartenance et un engagement mutuel ». Dans le cadre d’une formation à distance, on parle parfois de « communauté virtuelle d’apprentissage ». Ce qui la différencie d’une communauté de pratiques, c’est son caractère éphémère : elle n’existe souvent que le temps de la formation. Le terme de communauté « virtuelle » est d’ailleurs pour partie inapproprié car les apprenants existent réellement (Dillenbourg, P., Poirier, C. & Carles, L (2003).
Plusieurs recherches empiriques ont mis en lumière les conditions pour qu’un groupe d’apprenants à distance se constitue en communauté (Grosjean, 2007 ; Dilenbourg, 2003). On peut retenir par exemple la création d’un sentiment d’appartenance au groupe, l’engagement réciproque des membres du groupe, le partage de valeurs et d’un but commun, l’émergence d’une histoire commune, la possibilité pour les membres de construire leur identité dans la communauté.
L’acte de présentation de soi va favoriser (ou non) ce sentiment d’appartenance et cette identité commune. Pour faire communauté, il faut d’abord se connaître et se reconnaître (des objectifs ou des intérêts en commun par exemple).
Le mur en ligne comme « tour de table »
Pour se connaître, il faut se présenter aux autres. En cours présentiel, cela passe souvent par un « tour de table » où l’apprenant raconte son parcours biographique et énonce ce qu’il attend de la formation. Ce moment est important car il permet de se positionner vis-à-vis des autres membres du groupe, d’identifier des proximités ou des différences avec les autres apprenants.
En Foad ces présentations peuvent être réalisées lors des classes virtuelles, mais elles peuvent aussi se dérouler en amont, au travers d’un mur en ligne, de type Padlet. Le Padlet est présent dans l’environnement numérique de formation au même titre que d’autres outils de communication entre apprenants. Concrètement l’enseignant ouvre ce mur et demande à chacun de se présenter de manière brève, en explicitant son parcours professionnel et de formation et ses attentes vis-à-vis du cours ou de la formation. Il est également possible d’y intégrer une photo et de présenter ses centres d’intérêts.
Contrairement aux autres espaces collectifs en ligne (forums et classes virtuelles), le Padlet n’est pas spécifiquement conçu en vue d’interactions entre participants. Or, les interactions entre pairs occupent un rôle central dans la création d’une dynamique de groupe. En quoi le Padlet de présentation collective conditionne-t-il ou non l’émergence d’une communauté d’apprentissage en ligne en Foad ? Les interactions sont-elles nécessaires pour faire émerger une communauté d’apprentissage en ligne ?
Le présent article s’appuie sur un certain nombre d’observations réalisées en 2018 sur les Padlet de 14 Unités d’Enseignement (2) du Cnam.
Des disparités d’usage selon les Unités d’Enseignement (UE) : en moyenne un tiers d’apprenants se présentent
Premier constat, l’usage de cet outil varie selon les Unités d’Enseignement. Dans les UE observées, le taux de d’utilisation oscille entre 23 à 65%. On se situe la plupart du temps autour d’un tiers d’apprenants qui se présentent sur le mur.
On peut faire l’hypothèse que ces écarts sont liés à l’accompagnement de l’enseignement et au fait qu’il relance ou non les apprenants pour utiliser cet outil. De même, l’ancienneté de l’apprenant dans le cursus modifie ses pratiques. Les primo inscrits ont tendance à se présenter davantage que les apprenants inscrits depuis plusieurs années. Enfin lorsqu’ils sont inscrits à plusieurs Unités d’Enseignement, l’exercice peut devenir rébarbatif et engendre un abandon lorsqu’il s’agit de se présenter pour la troisième ou la quatrième fois. A noter toutefois que certains auditeurs rationalisent leur contribution en utilisant la même présentation dans plusieurs UE.
Un mimétisme dans les présentations
En termes de consignes, un message est présent sur le mur dès l’ouverture, déposé par l’enseignant, pour indiquer aux apprenants l’objectif (se présenter aux autres), le format de présentation (quelques lignes, une photo, une vidéo, et/ou un lien) et la manière d’utiliser l’outil (comment prendre une photo, comment créer une présentation).
Malgré cela, le deuxième constat est relatif à l’observation d’un effet d’entrainement dans la manière de se présenter sur le mur. Les premiers apprenants donnent le ton et entrainent des formes de mimétismes dans les présentations des suivants. D’autant que les messages sont souvent rédigés et postés dans les premiers jours de formation.
Généralement, les présentations des apprenants sont courtes (entre six et dix lignes), mais il est possible de trouver des présentations plus développées (autour d’une vingtaine de lignes). Les éléments que l’on y trouve sont le prénom, l’âge, les parcours académiques et professionnels, les objectifs de formation et professionnels, et les autres Unités d’Enseignement éventuellement suivies. Certains apprenants ajoutent une photo d’eux, d’autres non. Ils sont encore peu nombreux à le faire (moins de 10% pour la plupart des UE).
Voici par exemple un extrait du mur de présentation collective dans l’un des cours :
Sur ce mur, on observe des similitudes entre ces quatre présentations successives. Le premier qui se présente tend à donner le ton et la forme des présentations suivantes. Ici par exemple, les formulations sont quasiment identiques : « de niveau BTS comptable » (présentation 1), « de niveau BTS comptabilité et gestion » (présentation 2), « bon courage à tous » (présentation 2 et 3), « je vous souhaite à tous bon courage » (présentation 1). Nous retrouvons aussi l’argument du soutien de l’employeur sur les présentations 1, 2 et 3 : « soutenue également par ma Directrice » (présentation 1), « appuyée et soutenue par mon employeur » (présentation 2) et « avec l’accompagnement de mon employeur » (présentation 3). De plus, les publications sont de tailles égales. Il y a ainsi une forme de continuité langagière entre ces présentations. Là encore la manière dont l’enseignant lui-même se présente induit le contenu et les formes des présentations.
On peut même parfois parler d’effet de contagion : ainsi pour l’un des cours, l’un des premiers apprenants à se présenter a fait un renvoi vers son lien LinkedIn, et tous les autres en ont fait de même.
Bien qu’il n’y ait pas d’obligation de se présenter sur le mur, certains formateurs indiquent des objectifs pour la présentation collective : « établir un premier lien entre les stagiaires et les formateurs », « créer une dynamique de groupe », « comment les parcours des autres apprenants, différents des vôtres, peuvent vous être utiles et sont complémentaires aux vôtres ». Ces éléments nous renseignent sur l’intention des formateurs de générer un lien entre les apprenants en Foad dans le but d’aboutir à la création d’un groupe social en ligne. En effet, comme l’explique S. Grosjean, « l’objectif principal de l’acte de présentation de soi […] est de permettre une première prise de contact entre les membres de la communauté, d’installer un rapport social entre eux et de favoriser la création d’un sentiment d’appartenance. Les échanges sont initiés par le tuteur qui poste un premier message » (Grosjean, 2008).
Se positionner par rapport aux autres apprenants
Troisième constat : l’intérêt principal du Padlet envisagé comme mur de présentation, est de pouvoir permettre aux apprenants de se positionner socialement et professionnellement par rapport aux autres membres du groupe.
Certains apprenants interviewés ont expliqué lire le Padlet en début de formation pour se comparer aux autres, se rassurer face aux ressemblances ou constater qu’ils s’en distinguaient. Le sentiment d’avoir un parcours différent peut en pousser certains à retourner sur le Padlet : « j’avais un peu le sentiment d’être un peu atypique par rapport à tous les autres. Je suis toujours un peu curieux de savoir comment les gens organisent leur parcours, combien d’UE ils choisissent par semestre, comment ils s’organisent, est-ce qu’ils font des croisements entre telle et telle UE, quelle stratégie ils mettent en place. C’est quelque chose que j’aurais bien voulu trouver et que j’aurais bien voulu exprimer aussi ». (Apprenant).
Or comme l’explique encore S. Grosjean (2008), « pour appartenir à une communauté virtuelle d’apprenants, il faut avant tout se rendre visible aux autres. C’est en postant son premier message de présentation de soi que l’étudiant va s’affilier à cette communauté et installer un rapport social avec les autres membres. (…) Les participants vont valoriser une façon d’interagir et de se présenter aux autres et co-construire une convention partagée, une forme de représentation partagée de ce que doit être une présentation de soi. On assiste à un processus de socialisation. Les étudiants intériorisent une convention afin d’adapter leur comportement et action à l’environnement social dans lequel ils se trouvent ». Mais se présenter, est-ce suffisant pour faire communauté ?
Une présentation proche de celle des réseaux sociaux
Quatrième constat : la présentation de soi est plutôt libre et varie d’une personne à l’autre, avec des mises en scène très professionnelles et d’autres plus personnelles, à l’image de ce que l’on peut trouver sur les réseaux sociaux.
Sur ces exemples, les photographies des apprenants ont été prises dans des situations relevant de la sphère privée (à la maison, à la mer, etc). Si l’on n’est pas nécessairement dans une présentation de type CV, la plupart des photos relèvent toutefois d’une certaine neutralité et retenue. En postant ce type de photo, les apprenants se rendent visibles aux autres membres de la promotion et donne à voir de leur personnalité. Cependant, ces derniers ne co-construisent pas explicitement de convention communicationnelle. En effet, même si Padlet permet quelques interactions entre participants dans ses fonctionnalités, l’usage premier n’est pas celui-ci et se tourne plutôt vers un dépôt individuel sur un espace collectif. Dans ce sens, le processus de socialisation qui serait renforcé par des interactions, est incomplet sur le Padlet. D’autant que les apprenants sont au final relativement peu nombreux à mettre des photos (souvent moins de 6 apprenants par promotion et certaines UE n’ont même aucune photo).
A noter un usage détourné de cette présentation, dans une UE de marketing : le renvoi à des sites commerciaux que les apprenants ont créés : à l’instar d’un « book », l’outil permet de donner à voir qui l’on est mais aussi ce que l’on fait… La constitution de réseaux professionnels a toujours constitué un des objectifs des apprenants qui s’inscrivent au Cnam, il n’est donc pas surprenant de le retrouver également dans les enseignements à distance.
A noter enfin, un seul élève des 14 UE étudiées a utilisé une vidéo pour se présenter. Il y explique les motivations de son inscription et son parcours dans une mise en scène relativement sobre, au bureau. Pour les UE où il est inscrit, il n’y a pas eu d’effet de contamination, il est resté le seul à communiquer de la sorte.
Faire émerger la communauté d’apprentissage, de la co-présence à la collaboration… le rôle du formateur
N. Campos (2006) indique que, pour l’émergence d’une communauté d’apprentissage en ligne, les participants doivent collaborer, c’est-à-dire s’engager mutuellement dans le but de résoudre un problème ou de faire avancer l’état des connaissances. C’est par la collaboration que le processus de communication se développe. Les intentions de chacun ne sont alors plus tournées vers soi mais vers les autres. Le stade de la co-présence doit ainsi être dépassé pour atteindre celui de la collaboration, comme cela est le cas dans un travail collaboratif où les connaissances sont co-construites (Campos, 2006).
Par ailleurs, comme le mentionnent P. Dillenbourg et C. Poirier (2003), pour faire communauté, il faut aller bien au-delà du simple échange d’information ou de ressources entre membres, bien que cet échange constitue souvent le point de départ de la communauté et l’aspect le plus visible des interactions : « l’identité du groupe, sa micro-culture et sa dynamique sociale ne se construisent ni en quelques jours, ni en quelques messages électroniques. La notion de communauté implique une certaine durée de vie ». Selon ces auteurs, si les interactions « virtuelles » appauvrissent les communications, les communautés développent des codes de communication qui permettent de compenser partiellement cette perte.
Les propos précédents interrogent la notion de durée concernant des UE suivies sur un semestre. Est-ce suffisant pour que la communauté d’apprentissage ait le temps de se constituer ? Par ailleurs, la publication d’une présentation éventuellement accompagnée d’une photo sur le mur, permet certes aux apprenants de se rendre visible, de se positionner par rapport aux autres, mais ne suffit pas pour créer des interactions durables et un sentiment d’appartenance indispensable à toute communauté d’apprentissage en ligne. Le Padlet peut y contribuer mais ne suffit pas à garantir l’intensité des interactions, il doit être complété par l’accompagnement d’un formateur ou d’un enseignant, qui encourage les participants à se présenter aux autres et qui donne l’exemple. Mais cet encouragement doit surtout être complété par méthodes pédagogiques actives et des propositions de situations d’apprentissage qui encouragent les collaborations, l’engagement des apprenants et la construction collective de connaissances. Ce sont les apprenants qui, au fur et à mesure de leurs interactions, vont créer leur communauté et se construire une identité partagée.
(1) L’application en ligne Padlet permet de créer gratuitement (en version Freemium) un mur virtuel collaboratif, sur lequel chaque participant peut ajouter très simplement des contenus. On trouve un descriptif de son usage dans la vidéo http://vps-c4a8cbdb.vps.ovh.net/index.php/index/boite-a-outils/padlet/
(2) Les murs Padlet des Unités d’Enseignement suivantes du Cnam ont été observés : CFA115, AST117, FAD131, ACD002, ACD006, TET102, ESC126, ESC 115, PST002, PST 003, ACD 006, ESC 130, ESC 102, ESC 131, ESC 103. Des entretiens semi-directifs ont également été menés auprès d’auditeurs inscrits en TET102, PST004 (introduction à la psychologie cognitive), et CCG101 (comptabilité et contrôle de gestion initiation 1) et AST117.
Références théoriques
Campos, N. M. (2006). Des communautés de pratique aux communautés épistémiques. Dans S. Proulx, L. Poissant et M. Sénécal (dir.), Communautés virtuelles : penser et agir en réseau (p. 319-335). Laval, Québec : Les presses de l’université de Laval.
Dillenbourg, P., Poirier, C. & Carles, L (2003). Communautés virtuelles d’apprentissage : e-jargon ou nouveau paradigme ? In A. Taurisson et A. Sentini. Pédagogies.net. Montréal : Presses universitaires du Québec.
Grosjean, S. (2008). Genèse d’une communauté virtuelle d’apprenants dans le cadre d’une démarche d’apprentissage collaboratif à distance. Canadian Journal of Learning and Technology / La revue canadienne de l’apprentissage et de la technologie, 33(1).
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